vendredi 23 mars 2012

Cesser de râler, un vrai défi

Renoncer à critiquer à tout-va et à ronchonner exige une véritable «révolution intérieure».

Le dessinateur Georges Wolinski, dans les années 1970, en avait fait des héros nationaux: deux personnages accoudés à un comptoir de zinc qui râlaient tout le temps, sur tout, la marche du monde, leur femme, les impôts, le temps… L'archétype du français râleur, déjà très présent dans Astérix, trouvait là une nouvelle manière de s'exprimer.
Aujourd'hui, ce personnage ronchon, récriminant et amer est toujours très actif. Il suffit de faire un tour sur la Toile pour mesurer sa vitalité. On y apprend qu'il existe un championnat de France des râleurs, incitant qui hait les sens interdits ou la pluie systématique sur l'Hexagone à venir récriminer auprès d'un fictif «Monsieur le directeur» et sous l'objectif d'une caméra. On y découvre aussi d'autres sites entièrement consacrés à ce qui semble y être considéré comme un art: le «raling» (cf. Raleur.net, Les Joyeux Râleurs, etc.).
Au milieu de cette forêt de bureaux des plaintes, le site créé par Christine Lewicki en 2010, jarretederaler.com et qui a suscité la publication du livre J'arrête de râler (Éd. Eyrolles) fait figure de clairière. Il faut dire que la jeune femme, par ailleurs coach auprès de dirigeants, vit aux États-Unis. Une occasion pour elle de mesurer, là-bas, ses comportements quotidiens de «râleuse professionnelle».

Négativité stérile

«En tant que Française, j'avais cette habitude de prendre le contre-pied des idées ou initiatives qui m'étaient racontées, explique-t-elle. Attention toutefois: il ne faudrait pas croire qu'à Los Angeles, où je vis, personne ne se plaint. Au contraire, les Américains râlent beaucoup: sur les profs, les sociétés de services, etc. Mais, contrairement aux Français, eux multiplient les critiques proactives, c'est-à-dire toujours accompagnées d'un acte concret: lettres au service clientèle, réclamations auprès du directeur de l'école, etc.»
La plainte clairement exprimée, accompagnée d'une revendication concrète à la bonne personne, est en effet un geste positif. En revanche, râler de manière chronique en mettant tout sur le même plan (la météo, ses enfants et les bouchons sur la route…) ne peut avoir qu'un effet: diffuser une négativité stérile. Lassée de voir ses relations et son moral se détériorer, Christine Lewicki a décidé d'entamer un «marathon d'abstinence», 21 jours sans râler, qu'elle a raconté sur son blog.
On y découvre ainsi que renoncer à ses petites récriminations quotidiennes n'est pas facile: «C'est que râler, ça fait du bien!, explique la coach. Cela vient combler un besoin dont on n'a pas conscience et qui cherche à être satisfait.» On a en effet découvert que l'un des premiers bénéfices de celui qui a pris l'habitude de blâmer au quotidien est la création de liens. Jennifer Bosson, chercheuse en psychologie sociale de l'université de Floride du Sud, a récemment montré que lorsque deux étrangers se rencontrent, ils développent plus d'intimité entre eux s'ils partagent des opinions négatives sur un objet tiers.
 «On le constate tous, ajoute Christine Lewicki: lorsque nous rentrons dans un ascenseur et que le silence entre nous et les personnes qui l'occupent se fait pesant, rien de mieux que de trouver quelque chose à critiquer, du genre “que c'est long entre les étages!” ou “on étouffe là-dedans!”» Une attitude à mesurer toutefois car le «raling» a aussi des effets pervers sur celui qui s'y adonne trop: il éloigne les proches et fait mariner dans un sentiment d'impuissance préjudiciable.

Apprendre à regarder le verre à moitié plein

Ce qui importe, c'est de savoir remplacer une «râlerie» stérile par une démarche efficace. Ainsi le psychologue Guy Winch, dont le livre L'Art de se plaindre vient d'être traduit en France (Éd. Payot), rappelle que «toute plainte, même la plus justifiée ou la plus personnelle, la plus intime, est une demande de coopération ou d'aide adressée à autrui». Un des premiers comportements substitutifs aux perpétuelles jérémiades: savoir demander de l'aide.
Pour Christine Lewicki, qui parle d'une «véritable réorganisation neuronale» chez ceux qui décident de ne plus avoir recours à cette tendance stérile au grief, autre solution efficace: «Puisqu'on sait que, dans la vie, on est nécessairement frustré, mieux vaut baisser son niveau d'exigence et prendre l'habitude d'aller puiser dans toutes les ressources qui nous entourent!» À savoir, apprendre à regarder davantage le verre à moitié plein. Un changement à 180° qui s'appuie sur les dernières découvertes en psychologie positive: «Plus on remarque ce qui va bien, plus ce qui va bien se déploie dans notre existence.»

Source : figaro icon Pascale Senk 

Ecoutez à partir de la minute 67 cet interview : http://www.europe1.fr/MediaCenter/Emissions/Dans-l-air-du-temps/Sons/Dans-l-air-du-temps-09-08-11-662087/ 

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